Concours d’écriture

© Rémi DEBREU – instagram : remiavec1i

Cet été, j’ai participé à un concours d’écriture avec mon école l’EMPSI. Le thème ? 
Le massage, un processus propice à la métaphore, un outil de développement personnel :
Comment il a influencé ma vie ?
En quoi il est une aide à vivre, à ressentir, se relier. Je vous livre ici mon écrit très personnel.

12 mars 1988 à Marcq-en-Barœul, il est 15 heures 35. Dans quelques secondes je m’appellerai Alice. Dans quelques minutes je serai dans les bras de ma mère, dans quelques heures je serai séparée d’elle.

Elle a souffert le martyre m’a-t-elle dit. Hématome, postérieur, tête en poire, jaune, jaunisse, erreur, oublie, couveuse, fièvre. Tous ces mots pour dire mon arrivée sur terre. Tous ces mots je les ai entendus. Tiens, ça fait comment dans mon corps ? J’ai le ventre qui bouillonne, mon cœur qui palpite.

« Tu étais adorable, tu nous souriais tout le temps. Jamais de colère. Alors on continuait à faire les travaux dans la maison. Toi, tu n’as pas eu les bras que ta sœur a eu ». C’est vrai ça, ils étaient comment les bras de ma mère ? Et si j’ai été ce bébé exemplaire pour dire pardon…

Je pédale sur mon beau vélo rouge, les cheveux au vent. Il fait beau et chaud, c’est les grandes vacances. La forêt n’est plus très loin, mais aujourd’hui, je m’arrêterai ici, dans ce fossé d’orties. Ça me pique partout. J’ai le corps recouvert de boutons blancs. Je rentre à la maison en courant. Maman me badigeonne de vinaigre pour panser mon corps qui a mal. Le vinaigre comme une huile de massage. Les mains de ma mère me réconfortent, me sécurisent, me disent « ça va aller ». Maman me prend dans ses bras. Qu’ils sont précieux les bras d’une mère.

Je mets les mains dans de l’argile. Je modèle, je sculpte, je coupe, je roule, je lisse avec mes pouces. Papa a sorti dans le jardin un tour de poterie et de l’argile. Je m’amuse à sculpter une tête, j’essaye de dessiner ma tête. Je me touche le visage, je ferme les yeux et j’essaye de reproduire ce que mes mains sentent. Les mains dans la matière, le jardin se transforme en laboratoire.

Ma mère revient après avoir suivi une semaine de formation au massage loin de nous. Elle nous masse un par un, ma sœur, mon père et moi, chacun notre tour sur la table à manger. Nous passons entre ses mains. C’est un moment inédit, comme une cérémonie. Ce moment si particulier où nous sommes pris en charge, chacun, par les mains expertes de ma mère. Un moment fort, un souvenir gravé, une connexion avec ma mère. Un moment avec elle, rien que pour moi.

Ces quelques souvenirs sont gravés dans mon corps. Le massage est venu plus tard, bien plus tard. Le massage, c’est la rencontre des corps et des histoires. Je ne peux donc pas répondre à la question « comment le massage a influencé ma vie ? » sans évoquer quelques souvenirs d’enfance. Masser c’est aussi accepter de se livrer.

Toucher, ce sens si précieux qui m’a aidé à trouver ma place.

12 mars 2016 à Lille, j’ai 28 ans. Mes copines m’offrent un bon cadeau pour 1h30 de massage dans le cabinet « l’heure du massage ». Je ne connais pas cet endroit, mais ce que je sais c’est que je suis curieuse et que c’est une de mes belles qualités. Et puis, être prise en charge pendant 1h30, recevoir, ça je sais que ça me plait beaucoup. Je reçois alors un soin d’une justesse indescriptible par Delphine. J’ai réussi à me laisser être dans ses mains. Je suis contente, elle me dit que mon corps est agréable à masser. Un peu d’amour, j’en ai besoin…

Puis le temps passe et j’y retourne 1 an plus tard, accompagnée de Jeremy à l’occasion d’une initiation au massage avec Delphine où je découvre que la technique ne fait pas tout et que l’important est de trouver son propre vocabulaire, sa propre identité. Mon champ de vision s’élargit. Le temps d’une après-midi, je me mets en lien. A ce moment-là, je développe une relation optimale avec moi et l’autre. Je suis présente, je suis là et avec eux. Nulle part ailleurs que dans mon corps et dans cet espace. Je prends beaucoup de plaisir à améliorer ma qualité de contact avec les autres. J’ai encore de la matière à explorer.

12 mars 2018 à Wannehain, j’ai trente ans. Mes amis m’offrent une cagnotte pour que je puisse suivre mes premières formations de massage. Faut dire que ça fait quelques temps que je me renseigne, que j’en parle autour de moi. Un peu, pas trop. J’ai comme une gêne, une retenue à parler de massage. Je sens que je ne m’autorise pas vraiment à dire que j’aimerais en faire un métier. J’ai encore peur du regard des autres. La bonne élève que j’ai toujours été se dit que ce n’est quand même pas très sérieux tout cela. Finalement, c’est mon entourage qui me donne l’élan dont j’ai besoin et qui croit en moi.

Les premières formations de massage m’enchantent en même temps qu’elles me font peur. Suis-je à la hauteur ? Comment ça marche le palper-rouler déjà ? Je découvre que j’aime vraiment ça, masser. Les premières formations m’encouragent à pratiquer. Je suis dans la technique, le protocole. Je fais mes premiers pas dans l’univers du massage.

Je continue mon travail tout en prenant quelques congés pour m’offrir des stages, je creuse le sujet… D’autres pratiques m’appellent. J’entends parler de sophrologie, d’haptonomie, de gestalt thérapie, d’analyse transactionnelle, de communication non violente. Ce n’est pas facile de ne pas s’éparpiller. J’ai envie d’aller partout, je butine, je cherche quelque chose sur mon chemin mais je ne sais pas encore trop quoi.

Et puis un jour je craque, j’arrête mon travail. J’ai besoin de faire une pause, de revenir à mon corps et d’écouter mon cœur. Je sens que mon travail m’a épuisé mentalement et physiquement. Je repense à cette boule au ventre que j’avais tous les derniers matins, avant d’aller travailler. Et si je laissais un peu de côté mes schémas, mes idées préconçues, mes croyances limitantes et que je laissais de la place à mon corps ? Et si je laissais un peu plus les fluides me traverser ? Je lis Reich, je lis Winnicott, je lis Nasio, je lis ceux qui me parlent et qui parlent du corps.

C’est par le corps que nous avons pris contact avec notre environnement à notre naissance. En ce sens, le massage m’invite à me questionner sur mon corps comme langage et comme voix d’accès à mes blessures. Comment mes blessures s’impriment dans mon corps ?

Mon corps est donc en quelque sorte une voie de réparation de ma névrose. Le corps est un langage qui parle. Il y a dans le massage, cette idée de mouvement, de redonner de la souplesse et de la fluidité là où il y a eu des tensions, des traumatismes, des interdits, des peurs.

Petit à petit, mon corps dans le massage est un corps qui se libère et qui s’autorégule. Une régulation d’ordre interne entre ma tête, mon corps et mon cœur et d’ordre externe, entre moi et les autres.

Lorsque je reçois des massages dorénavant, je les vis comme une invitation à incarner, une invitation à prendre conscience de mon unité, de ce qui me relie aux sens mais aussi ce qui fait pour moi, sens à être pour chacun d’entre nous, une invitation également à prendre ma place.

J’ai en tête une phrase que l’on m’a dite un jour : « quand on prend sa place, on légitime les autres à faire de même ». Ce jour-là, j’ai été autorisée à être et à prendre ma place.

Je réalise que le massage me reconnecte avec « mon enfant intérieur ». Il me permet d’augmenter ma propre conscience. Pendant cette parenthèse que je m’offre, j’éprouve des sensations (froid, chaud, douceur) mais aussi des émotions (tristesse, peur, joie…).

Je me souviens de toutes ces journées à l’école du massage intuitif à explorer, masser, échanger. Toutes ces heures en quête de mon identité de masseuse. Je me souviens aussi de tous les massages que j’ai reçus. Je remercie toutes ces mains bienveillantes qui m’ont touché. Toutes ces oreilles qui m’ont écouté, tous ces yeux qui m’ont regardé sans jugement. Le temps s’arrête, se met entre parenthèse. J’oublie le reste, je me connecte avec mes sensations subtiles. Je m’autorise à laisser s’exprimer toutes sortes de d’émotions, de la tristesse à la joie.

Je vis un lâcher-prise qui me procure beaucoup de bien. Je prends conscience par le biais de l’expérience que des sentiments, des émotions, des sensations ressurgissent de mon vécu ancien. Cela me permet de réhabiliter mon ressenti émotionnel et corporel. Plus précisément, cela me permet d’aller à la recherche d’un contact authentique et primaire. Déjà chez moi, bébé, se sont constitués des éléments de conscience de moi en lien étroit avec le monde extérieur.

Je me régule ou je régule. Cela implique de faire bouger de place, de circuler, de véhiculer l’énergie dans son corps.

Je dis souvent qu’un bon masseur est un masseur massé. Si je parle de mon expérience de praticienne alors je dirais que la première chose qui m’a aidée à me développer ce sont les notions de jeu et de créativité que j’ai découvert dans le massage.

 « C’est en jouant, et seulement en jouant, que l’individu, enfant ou adulte, est capable d’être créatif et d’utiliser sa personnalité tout entière ». « C’est seulement en étant créatif que l’individu découvre le soi ».

Winnicott

La créativité est une notion qui résonne beaucoup à l’intérieur de moi. La créativité c’est aussi s’autoriser à prendre un chemin nouveau.

« Lorsque nous innovons, lorsque nous accomplissons un acte créateur, c’est-à-dire, lorsque nous modifions notre environnement et nous nous modifions nous-même, soyons en sures, c’est notre passé qui revient et nos racines les plus profondes qui affleurent »

J-D Nasio

Il y a un an, je décide de m’inscrire dans l’école qu’a suivi il y a une quinzaine d’années Delphine. Au départ, je veux aller vite. Je me dis que je suis une masseuse dynamique. Mais je ne prends pas le temps de lire l’histoire de l’autre. Je ne lui laisse pas le temps d’intégrer le toucher qui s’offre à lui, d’être touché par mon toucher. Je ralentis petit à petit. Je me laisse moi-même touchée par l’autre. Je donne à ce toucher le temps de se présenter. Nous faisons connaissance.

 « C’est une véritable relation que nous bâtissons massage après massage, avec le souci de donner à l’autre toutes les chances d’être ce qu’il est. Le massage est une œuvre commune, un corps à corps. Les deux parties sont responsables de ce qui se joue à l’instant T »

Christian Hieronimus

Le massage m’a donc appris à prendre le temps de la rencontre. La rencontre avec l’autre mais aussi avec moi-même. Le temps n’est pas une donnée neutre, il est chargé d’émotions. J’ai du mal à vivre dans mon présent. Je suis très souvent obsédée par l’avenir ou nostalgique du passé. Je passe en effet très souvent d’un moment à un autre et je néglige l’entre-deux.

« Ce temps intermédiaire, celui que nous ne nommons pas, est pourtant tout aussi précieux. Dans une journée de mille quatre cent quarante minutes, combien sont réellement vécues et ressenties ? » 

Sidi Lardi Charkaoui,

En parallèle de mon apprentissage du massage, je me forme à la sophrologie. L’un explore le toucher pendant que l’autre explore la respiration. Les deux se rejoignent sur notre état de conscience corporelle, notre ancrage. Les deux m’aident à aborder le corps non pas seulement du point de vue physiologique et anatomique mais aussi comme le lieu d’affects, d’émotions et un outil de relation. C’est donc en prenant conscience de mon moi corporel, que je peux avoir accès à ma conscience d’être.

« Nous naissons le corps que je suis et nous construisons le corps que j’ai»

Carl Gustav Jung

Le corps sujet est finalement notre première essence. Je suis de l’intérieur, du dedans. Lorsque je viens au monde, je nais authentique, complète, intègre, congruente.

C’est seulement après ma naissance avec la dissociation de moi-même et des autres et notamment avec ma propre mère, que je prends conscience du regard de l’autre et donc par conséquent de mon image.

« Corps vu et corps vécu ». Durant toute mon existence, l’image de mon corps vu s’imposera sans cesse dans ma conscience au détriment des images de mon corps vécu, qui, elles, seront négligées et refoulées dans le silence et dans mon inconscient. Selon moi, c’est donc tout l’enjeu du massage que de s’attacher à réhabilité mon corps « vécu ».

Personnellement j’aime l’idée « d’habiter mon corps », de l’incarner. C’est une notion abordée dans un article écrit par Brigitte Chavas. Elle évoque le corps-maison et c’est une idée qui résonne en moi. Et puis bon, je n’ai pas appelé mon activité « maison plexus » pour rien…

Je considère en effet mon corps comme une maison avec un dedans et un dehors et ses multiples façons de l’habiter. Parfois j’ai envie de m’y poser pour exister, parfois j’ai envie de l’entretenir. Parfois je suis dedans, parfois je suis dehors. Pourtant, je sens aussi que le corps est mouvement, flux et qu’il vit et se vit.

« Quatre-vingt-dix-huit pour cent des atomes de l’organisme étaient absents un an auparavant. Le squelette qui semble si solide n’était pas le même trois mois plus tôt… La peau se renouvelle tous les mois. La paroi de l’estomac change tous les quatre jours et les cellules superficielles qui sont au contact des aliments sont renouvelées toutes les cinq minutes… Si le corps est une maison, alors c’est une maison dont les briques seraient systématiquement remplacées chaque année. Si l’on conserve le même plan, il semble qu’il s’agisse de la même maison. Mais en réalité, elle est différente».

Brigitte Chavas

Vu que la vie est mouvement, voilà où j’en suis aujourd’hui, à cet instant. Aujourd’hui j’en suis là. Avec mon histoire et ma mémoire. Je suis sur le chemin de mon essence, grâce au massage et à ce qui me relie à la vie, l’Amour. Je me sens responsable de ma vie et je m’éloigne petit à petit des souvenirs rigides. Sans faire « reset » sur le passé, je bâtis mon avenir avec maturité. Je mets entre parenthèse mes expériences anciennes au profit d’expériences nouvelles. J’accueille le mouvement et les changements, même si ce n’est pas toujours simple, grâce à la fluidité que provoque le toucher bienveillant.

11 novembre 2019 à Wannehain, il est 11 heures 16. Aujourd’hui, je masse ma mère. Aujourd’hui est un grand jour. Je redécouvre son corps, nous faisons connaissance. Ça bouillonne dans mon corps, j’ai mon cœur qui bat fort. Je reste hantée par le regard de ma mère, par son jugement. Mais aujourd’hui elle ferme les yeux, elle me donne à voir son corps, elle se laisse porter par mes mouvements. Elle me demande un massage englobant, harmonieux. Un massage de réconfort. Je lui donne tout ce que je peux lui donner aujourd’hui. Je fais de mon mieux. Lorsque le moment est fini, je vois son visage. Je ne l’avais pas encore vu comme cela ma mère, son regard a changé.

13 réponses sur “Concours d’écriture”

  1. Bonjour Alice, j’ai écrit pour ce même concours et découvre avec joie ton texte. Il est magnifique, profond, émouvant, sincère, sensible, humain… Félicitations! Je me régale aussi à parcourir ton site comme je lirais un beau roman. Il m’a été recommandé par Anne-Sophie Van Nuvel. Excellente continuation à toi!

    1. Bonjour Véronique !
      Je te remercie chaleureusement pour tes mots si réconfortants, ça me touche beaucoup. J’imagine que tu es toi aussi sur le chemin de l’accompagnement et de l’entreprenariat. Alors je te souhaite une bonne route et beaucoup de réussite !
      Au plaisir de croiser ton chemin, un jour peut-être ?! Bien à toi, Alice

  2. Tes mots si sont vrais, sincères, ils m’ont totalement transporté dans ton histoire, ton vécu, et des larmes ont coulé. Touchée par ton récit par lequel je ressens tellement de sensibilité et d’humanité, alors bravo et merci d’offrir au monde ta vision et ton vécu du toucher, c’est un cadeau !
    Très belle continuation à toi et au plaisir de se rencontrer, peut-être autour d’un massage 🙂
    Marylène

    1. Merci beaucoup pour ton retour Marylène, ça me va droit au coeur. Au plaisir de te rencontrer un jour dans ma maison plexus ou ailleurs ! Bien à toi

  3. Merci pour ce beau texte Alice. Je te lis et je ressens une part de moi qui vibre, qui comprend et prend tout ce que tu écris. Merci de donner autant d’amour.
    🙏

    1. Merci Jeanne ! Il y a beaucoup de choses que nous ayons en commun 🙂 J’espère te revoir bientôt pour du love en « vrai »

      1. C’est waouuuuuh Alice ! Tu mérites ce prix et finalement ça ne m’étonnes pas.. . 😁Tu peux être vraiment fière de toi.
        Beaucoup de sincérité, de sensibilité, de délicatesse dans ce que tu écris, ce qui es toi également.
        Bravo, tu es une belle personne.
        A bientôt 😉
        Nadège 😘

        1. Merci beaucoup pour ton retour Nadège ! ça me touche ce que tu écris … J’espère te revoir bientôt pour échanger sur nos chemins respectifs ! Bien à toi, Alice

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